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La bobine du réalisateur Ahmadou Diallo se déroule du Sénégal à Lorient
Ahmadou Diallo est le réalisateur du film « Le Symbole », qui traite de l’interdiction dans les écoles sénégalaises de parler une autre langue que le français. Depuis 1995, il vit à Lorient « incognito ».
Des rires résonnent dans la classe pleine d’élèves de cette petite école de la banlieue de Dakar (Sénégal). Ce ne sont pas des exclamations de joie, ce sont des moqueries. Dans la salle, tous les âges se mélangent. À côté de l’instituteur, un écolier est au sol, à genoux. Autour de son cou, une ardoise où il est écrit à la craie « Je suis un âne ». Cette scène est extraite du film « Le Symbole », un court-métrage de sept minutes « qui a fait le tour du monde » dans les années 90. Son réalisateur, Ahmadou Diallo, vit « incognito » à Lorient depuis 1995. Chaque matin, il boit son café au Barikade, petit bar de quartier, toujours un chapeau sur la tête, « [sa] marque de fabrique ». Chez lui, son écran plat est encadré par deux enceintes home cinéma. Il sort un DVD d’une boîte toute cassée, trafique les câbles du lecteur et l’image, au grain vieilli, apparaît à l’écran. « À sa sortie, mon film a crevé la toile », sourit-il.
Parler français « pour réussir »
« Beaucoup n’ont pas compris ce que j’ai voulu faire. On pensait que je critiquais la colonisation. Sincèrement, je voulais juste faire rire, mais les gens ont vu un film politique ». Ahmadou Diallo a voulu raconter des souvenirs d’enfance. « Les instituteurs nous obligeaient à parler le français, explique le Lorientais de 72 ans, qui a vécu plus longtemps en France qu’au Sénégal. Mais ils ne le faisaient pas par méchanceté, ils le faisaient pour qu’on réussisse mieux dans la vie ». Même si le Sénégal a repris son indépendance en 1960, la francisation du pays lors de l’époque coloniale a étiré le sentiment d’élitisme français jusque dans les années 90. Lorsqu’un enfant, par malheur, parlait peul ou wolof, il avait droit au « symbole », cette ardoise attachée au cou, pour que le monde entier sache qu’il avait fait un faux pas. « Ce film a eu beaucoup de succès ici en Bretagne, je pense que c’est parce que les Bretons ont connu ça avec leur langue maternelle ».
La machine froide du cinéma français
« J’ai financé mes études en travaillant. Le jour, j’étais ouvrier dans le bâtiment, le soir, j’allais au cours du conservatoire du cinéma français ». Diplôme en poche, Ahmadou Diallo se heurte à la paroi froide de cette grosse machine, celle du cinéma français, dont il faut la clé pour comprendre les rouages. « Un ami professeur m’a pistonné : il connaissait la femme de Jean-Luc Godard, dont la sœur tenait un organisme de postproduction à Paris, Atria [une association qui appuyait les travaux des réalisateurs africains en France, fermée en 1999, NDLR]. Elle m’a dit que je pourrai rencontrer des cinéastes du tiers-monde, et que peut-être cela me donnera du courage ». En 1993, il se rend au Centre national du cinéma, scénario sous le bras. « Presque mille personnes faisaient la queue dans le froid pour déposer leur dossier ». Il est retenu parmi dix lauréats. « Et là, tous les gens d’Atria se disent : « Oh la la, mais Ahmadou n’est pas si bête que ça » ». Il rit en se remémorant cette vieille histoire, ces quelques séquences qui ont déroulé la bobine de sa carrière.
« Une caméra, de la péloche »
Dans les couloirs de l’agence, Ahmadou a la tête ailleurs, il réfléchit. « Je voulais faire ce film, je ne savais pas comment m’y prendre. Un confrère m’a donné une caméra et de la péloche, et on l’a fait ». Sans casting ni régie, il choisit ses acteurs à la volée dans les rues de Thongor, un quartier au nord de la capitale. Le court-métrage est acheté par Canal + avant d’être achevé, « ils ne voulaient pas louper le coche ».
De festivals en conférences, « Le Symbole » tourne partout. Le cinéaste raconte les nuits blanches dans les hôtels, les bouteilles de vin achetées à l’aéroport, une veillée arrosée avec Almodovar… En 1995, il tourne le dos à l’effervescence parisienne et opte pour l’intimité de la ville aux six ports. Il y monte sa société de production, « la première à Lorient créée par un Africain ». Depuis, il a arrêté son activité, pris dans les engrenages de la vie. Chez lui, ses prix encadrés couvrent tout un mur. « Un jour, un réalisateur français m’a demandé si j’étais conscient que j’avais fait le meilleur film africain. J’ai répondu que j’avais fait un film, c’est tout ».
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